19.5.08

ALFRED KUBIN: Le cabinet des épouvantes

Adoration

Alfred Kubin (1877-1959) était un illustrateur autrichien dont l'importance est considérable dans l'histoire de l'art, même s'il est très peu connu du grand public.

Il naît le 10 avril 1877 à Leitmeritz, petite ville du nord de la Bohême. Le travail de son père, géomètre pour l'État, l'amène à souvent déménager et Kubin, de faible constitution, se sent continuellement exclu. Il s'enferme dans la marginalité :

Comme j'étais le plus faible, il était donc tout naturel que je me réfugiasse dans la ruse et l'astuce pour pouvoir m'abandonner à mes penchants. Je donnais en toute tranquillité libre cours à mes instincts de cruauté refoulés… je torturais de pauvres petits animaux… et pour autant que je l'aie regretté par la suite, j'en éprouvais d'abord un intense sentiment de joie.
Lorsque il n'arrache pas les ailes des mouches, le petite Alfred dessine :
J'ai eu de tout temps un penchant singulier à l'outrance et au fantastique : j'ai toujours préféré la vache à quatre cormes à celle qui n'en avait que deux (…) Mes dessins d'enfance correspondaient à ce goût. Ils fourmillaient d'enchanteurs, d'un fatras de bêtes comiques et effrayantes, montraient des paysages tout en feu.
Sa mère meurt de phtisie quand il a dix ans. Ce décès et le désespoir de son père le marquent à jamais :
Il tira du lit la longue dépouille de sa femme amaigrie par la maladie et, la prenant dans ses bras, il se mit à parcourir la maison en tous sens, en pleurant et comme demandant du secours.
Un an plus tard, son père épouse la soeur de son épouse décédée. Très vite enceinte, il semblerait que ce soit elle qui initie le petit Alfred (onze ans) à des jeux interdits avant de mourir en couches.
Son père devient violent, assène forces coups de bâton sur le dos de son fils qui ne ressent plus que haine pour l'espèce humaine.
La contemplation d'un orage, d'un incendie, d'un torrent sortant de son lit comptait parmi mes jouissances les plus fortes. J'étais un spectateur assidu des rixes, des arrestations, des marchés aux bestiaux, où l'on pouvait régulièrement me rencontrer (…) Il y avait en outre toutes sortes de choses qui avaient le pouvoir d'éveiller en moi une curiosité brûlante, par exemple les cadavres.
Kubin père se marie une troisième fois et Kubin fils devient apprenti photographe chez son oncle par alliance, où il découvre l'art du paysage.
Il fait une tentative de suicide en 1896, sur la tombe de sa mère. Mais le pistolet rouillé s'enraye et il n'a pas le courage de réitérer.
Alfred s'engage dans l'armée, où il est pris d'un délire qui l'amène à être hospitalisé pendant trois mois. Il est réformé.
En 1898, il s'inscrit dans une académie de dessin à Munich, découvre les galeries de l'ancienne Pinacothèque et c'est un émerveillement.
L'année suivante il découvre l'oeuvre de Max Klinger (1857-1920), et notamment la série de gravures intitulée Gant (Ein Handschuh) qui l'influencent notablement.

Devant ces estampes, je fis le voeu solennel de consacrer ma vie à créer de semblables oeuvres.
C'est à cette époque que Kubin réalise l'immense majorité des dessins reproduits ici, datés de la période 1900-1904.
Il se fiance en 1901 avec une jeune femme, qui meurt subitement. Kubin est de nouveau cerné par la folie. Alors qu'il connaît un succès grandissant, il dilapide tout son argent et se retrouve au bord du gouffre.
Chez des amis, il rencontre en 1904 Emmy Mayer et l'épouse immédiatement. Kubin est sauvé.

Son style change et la couleur arrive, grâce à Koloman Moser qui lui enseigne l'art de la peinture à la colle. (Moser, dont on peut admirer les oeuvres à l'exposition Klimt, Schiele, Moser, Kokoschka - Vienne 1900 qui se tient actuellement au Grand Palais à Paris).
Plus tard, Alfred Kubin adoptera un troisième style fait de dessins à la plume sans adjonction de zones de gris ou de couleurs peintes ou aquarellées.
Bien qu'il connût tout au long de sa vie un immense succès (il illustrera plus de soixante-dix livres, rejoindra Kandinsky au sein du Blaue Reiter et exposera en compagnie de Paul Klee et Franz Marc), l'oeuvre de Kubin vaut surtout, à mon avis, pour ces quatre ou cinq années de jeunesse qui influenceront de nombreux artistes.
La technique qu'emploie Kubin dans les années 1900-1904 est assez simple : les dessins sont réalisés à la plume et à l'encre de Chine sur du papier à cadastre (n'oublions pas que son père était géomètre). Ils sont, le plus souvent, grisés grâce à des lavis ou par des projections d'encre soufflée au pistolet à peinture. Parfois, il utilise l'aquarelle pour réaliser des images dans les tons ocres.
Les grisés par projection sont une manière de restituer l'effet obtenu par l'aquatinte dans les gravures de Klinger. Pour une explication de cette technique, voir ce que j'en disais dans l'article consacré à Martin Lewis.

(Pratiquer le français, et pourquoi non ? )

L. M. I.

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